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Les Dames écossaises
[…] Au mois de décembre 1914, la famille Gouin, propriétaire de l'abbaye, l'ayant gracieusement mise à la disposition du service de santé, une délégation de la Société écossaise de la Croix-Rouge vint s'y installer. Rien n'était aménagé en vue d'un hôpital. Il n'y avait ni cuisine, ni chauffage, ni éclairage. […] Les femmes sont tout ici, deux hommes seulement leur venant en aide pour les plus dures besognes.
Elles sont chirurgiens, médecins, administrateurs, chauffeurs, nettoyant elles-mêmes leurs voitures, lingères, cuisinières, tout enfin. […] Instruites, affinées, parlant presque toutes le français, elles appartiennent à l'élite de leur pays, à l'aristocratie de la naissance ou de l'esprit. […] Le chirurgien-chef de l'hôpital de Royaumont, Miss Ivens, est entourée d'une élite de femmes doctoresses : Mrs. Butler qui dirige le laboratoire de bactériologie ; Mrs. Savill, qui règne sur la salle de radiographie ; Mrs. Nicholson, Berry, Proctor, Rutherford, chirurgiens ; Dr. Hancock, anœsthetist, secondées par 24 sisters et 30 orderlies (1). A côté du service médical, le service administratif fonctionne sous la direction de Miss Loudon qui […] gouverne tout un monde d'orderlies que blessés et convalescents appellent poliment : Miss Bureau, Miss Cuisine, Miss Lingerie, Miss Automobile, car des personnes aussi distinguées ne sauraient être nommées tout cru des secrétaires, des comptables, des lingères, des chauffeuses ou des cuisinières ! Les médecins ont un uniforme : c'est un costume tailleur très simple, d'un gris très doux à l'oeil […]. Sisters et orderlies sont vêtues de gris bleu, les unes avec la coiffe blanche traditionnelle, les autres coiffées d'une gentille petite charlotte de la même couleur que la robe (ou blanche pour les cuisinières), qui encadre gracieusement leur mine éveillée. Miss Ivens, le grand chef qui préside à tout, aide pour tout, guide notre visite à travers son royaume. L'entrée, dans la galerie du cloître, est un spectacle enchanteur. Sur quatre côtés s'étend la galerie ouverte, entourant un jardin carré ; au centre, un jet d'eau lance au soleil ses diamants irisés. On dispose en cercle, autour du bassin, les lits des blessés. Miss Ivens n'est pas la dernière à prêter la main à ce travail, accompli par toutes avec l'aisance, la légèreté que donne l'habitude des sports et l'exercice des muscles.
L'herbe verte, les draps blancs, les couvertures rouges, le soleil, l'eau scintillante dans l'harmonie des vieilles architectures, c'est un cadre de joie et de paix où se raniment les visages dolents des blessés. […] (En ce moment l'hôpital compte deux cents blessés, mais il y a place pour deux cent cinquante.) Chaque salle est sous la surveillance d'une infirmière major ou sister responsable, aidée par des nurses et orderlies. […] Nous visitons la salle d'opérations, admirablement disposée, où, voilées et les mains vêtues de gants de caoutchouc, les chirurgiennes examinent les blessures et font les opérations les plus délicates. […] La galerie du cloître forme à sa partie supérieure une terrasse, où les blessés qui ne peuvent encore descendre au jardin viennent prendre à volonté, étendus sur des chaises longues ou à cheval sur la balustrade, des bains d'air et de soleil. Le plein air semble être un élément caractéristique des cures de Royaumont. Sous la galerie, les blessés dorment à l’air, et, dans les salles, les grandes fenêtres ouvertes combattent heureusement le préjugé du calfeutrage salutaire. Une chapelle, inutilisable pour les blessés, a été transformée en réfectoire pour le personnel de l'hôpital. […] Partout, dans le parc majestueux ou dans le cloître, des convalescents s'égaillent, jouant ou se reposant, faisant l'éducation de leurs muscles par de menus travaux. Les infirmières disent à chacun un mot réconfortant, avec l'enjouement qui caractérise les Ecossaises. L'âme féminine, qui partout ici veille à leur guérison, les enveloppe d'une atmosphère maternelle : « On peut être bien soigné ailleurs, nous dit l'un d'eux, mais nulle part mieux qu'ici. Je regretterai ce Paradis, mais je repartirai au front sans retourner la tête ». […] C'est la résidence d'été idéale, le séjour de la paix et même de la joie, en dépit des souffrances inévitables causées par la guerre. Là, règnent l'hygiène la mieux entendue, une discipline librement consentie, et une atmosphère de bien-être, d'activité saine et réparatrice, propre à entretenir chez tous ceux qui y vivent la robuste confiance en la vie.
(1) Sister : infirmière diplômée • Orderly : aide-infirmière.
Une visite à l’hôpital de Royaumont (Extrait du Livre d’ Or des Œuvres de Guerre)
LUCIE BERILLON, Professeur au Lycée Molière et à l'Ecole Française d'Infirmières.